C’est une question qui me taraude depuis quelques mois déjà. Peut-on vraiment écrire et s’engager politiquement via l’écriture, sur tous les sujets?
Cette réflexion a débuté lors d’un appel à textes émis par une maison d’édition engagée et inclusive, qui précisait que tous les personnages principaux doivent être explicitement queer. Le hic (bon ça n’en est pas un on s’entend, juste dans ce contexte j’ai tiqué) c’est que je ne suis pas queer. Comment alors retranscrire une romance queer ou décrire une personne queer (oui je sais c’est un corps d’humain.e avant tout) sans tomber dans les clichés? Parce que, voyez-vous, ce n’est pas quelque chose qui peut venir de l’intérieur de moi car, je l’ai déjà dit, je ne suis pas queer et tout ce que je connais de la communauté queer provient des images du monde extérieur. Erronées ou non…
Female gaze et compagnie
Pour les besoins de la démonstration mathématique que je m’apprête à faire, je vais vous parler du male gaze et du female gaze. En gros, pour celleux du fond qui ne suivraient pas, c’est l’œil qu’un “homme” ou une “femme” pose sur les personnages/situations de l’histoire qu’iel construit. Evidemment c’est un peu moins binaire que ça car des hommes peuvent créer des œuvres avec du female gaze et inversement.
Par exemple, Pierre Bottero dans le dernier tome de la trilogie d’Ellana pose un regard masculin sur le post-partum de son héroïne qui, 4 mois après son accouchement, a retrouvé une taille fine, sa forme olympique de combattante et surtout a bien le temps de faire des entrainements parce que son petit ange de bambin lui laisse l’opportunité de vaquer à ses occupations toute la journée. Cette vision des choses est complètement déconnectée de la réalité. Personnellement 4 mois après mon accouchement j’avais encore le périnée en chou fleur, m’assoir ou marcher relevait de l’exploit et 4 ans après je n’ai toujours pas récupéré ma silhouette d’avant grossesse.
Dans ce cas-là, la vision relayée par l’auteur tient entièrement du male gaze, c’est-à-dire un regard masculin qui ne peut venir de l’intérieur puisqu’il n’est pas possible pour lui de ressentir dans son corps et dans sa chair ce qu’un accouchement ou la période du post-partum représentent. Pire encore, la vision qu’il donne est surréaliste, mais surtout biaisée. Elle vient de l’extérieur, de l’œil patriarcal qui impose aux femmes le silence sur les souffrances du post-partum et la pression à se “remettre” rapidement. Et c’est pour ça que je dis que tous les écrits sont politiques.
Dans ce cadre-là, peut-on alors envisager qu’il existe un cis-gaze, un white-gaze, un thin-gaze ou encore un hetero-gaze?
Je n’ai jamais rencontré ces termes (ils existent peut-être mais en tout cas je n’en ai jamais eu connaissance) mais je présuppose que pour chaque oppression il existe un regard de l’opprimé et un de l’oppresseur.
Comment concilie-t-on alors écriture et inclusivité sans tomber dans les clichés de l’oppression gaze ou domination gaze (oui j’invente des termes)?
Renoncer
Pour l’appel à textes que je mentionnais au début, j’ai tout simplement renoncé. Pour plusieurs raisons. Par difficulté, parce que c’est un exercice que je trouve particulièrement inconfortable et casse-gueule. Par peur aussi. Peur de mal faire, peur de faire du cliché, d’être à côté de la plaque. Moi j’aime quand les choses sont le plus juste possible et je crois que lorsque l’on ne se sent pas capable d’atteindre ce but, le mieux est de renoncer. Finalement, je me suis dit que ce n’était peut-être tout simplement pas ma place de parler au nom des personnes concernées. Je me suis donc retirée du challenge.
Mais j’ai tout de même cet appel du bide qui dit qu’on a besoin de diversité et d’inclusivité dans nos histoires, portées à l’écran ou dans les livres, alors, on fait comment, bordel, pour avoir des personnages queer, gros, handi, etc., développés avec justesse et sans s’approprier des combats qui ne sont pas les nôtres?
Déconstruire
La première étape qui me vient en tête c’est évidemment de déconstruire toutes ces oppressions systémiques. Se renseigner, lire, écouter des podcasts, qui dénoncent le monde patriarcal, le racisme, la transphobie, la grossophobie, etc. Reconnaitre les mécanismes oppressifs à l’œuvre, écouter les personnes concernées lorsqu’elles parlent de leurs corps, de leurs combats, de l’oppression gaze. Oui, tout ça c’est long, fastidieux, compliqué. Je crois qu’il faudrait toute une vie pour tout déconstruire et se rapprocher au plus près de ce que vivent, au quotidien, les personnes opprimées. Cela ne sera jamais assez mais je trouve que c’est un bon début et surtout, le minimum que l’on puisse faire.
Sensitive readers
C’est une pratique qui ne fait pas l’unanimité en France (en même temps tout est critiqué dans ce pays) mais faire appel à un.e lecteurice sensible est une solution que je pense envisageable (si c’est bien fait, on s’entend, pas pour se donner bonne figure). Le principe? Demander l’avis à un.e lecteurice concerné.e par une oppression en particulier pour utiliser son œil et son regard de personne minorisée afin de corriger des parties problématiques d’un manuscrit. Cette pratique est évidemment décriée en France, entre accusation de censure par certains, ou d’autres qui pensent encore que si l’auteurice doit se planter, iel doit se planter seul.e¹. Moi je crois surtout que cette pratique dérange une certaine part de la population (toujours la même), celle qui ne veut pas que le vieux monde s’écroule. Pour moi, faire appel à un.e lecteurice sensible, ce n’est pas tricher, ce n’est pas faire de la censure, c’est travailler collectivement à une meilleure représentation des minorités. Et, on n’oublie pas, écrire n’est pas une activité qui se pratique seul.e. Avoir un avis éclairé sur son histoire, sa grammaire ou encore se faire corriger son texte ce n’est que la base, pourquoi alors refuser ce même principe dès lors qu’elle permettrait de raconter au plus juste les réalités sociales?
Inclure, pas s’approprier
Ce sujet, j’en ai débattu avec plusieurs ami.es, auteurices ou non, parce que ça me semble vraiment important d’avancer sur ce sujet. Parmi ces personnes, il y en a une (qui se reconnaitra j’espère) qui m’a dit (je paraphrase) que si on n’appartient pas à un groupe minorisé on peut toujours écrire dessus (c’est-à-dire écrire des personnages qui appartiennent à ce groupe) sans pour autant s’approprier leur luttes. J’ai trouvé la réflexion hyper intéressante parce que, pour ma part, écrire Le chant de la canopée avait vraiment pour but de faire une critique du patriarcat et de ce que le groupe social des hommes fait au groupe social des femmes. Mais je voudrais évidemment pouvoir critiquer le racisme, la transphobie, la LGBTphobie. Et si ce n’était juste pas ma place? Et s’il fallait que je revois ma grille d’écriture en ne pensant pas dénonciation mais plutôt inclusion? Est-ce que ça ne serait pas une solution de simplement faire de la représentation (parce qu’on en a besoin je l’ai déjà dit) sans pour autant que l’appartenance à un groupe social dans la réalité n’ait vraiment d’impact dans la fiction? Je trouve en tout cas l’approche intéressante et suscitant de vraies pistes de réflexion.
Où il est question de légitimité et de responsabilité
Parmi les conversations que j’ai pu avoir sur le sujet, une amie (coucou amie) m’a aussi dit que ce serait triste si tout le monde écrivait à propos de son petit pré carré. Mais est-ce que c’est suffisant pour être légitime à écrire sur un sujet qui ne nous concerne pas? Clairement pour moi ce n’est pas assez. Ce n’est pas parce qu’on peut faire quelque chose qu’on doit le faire. Alors je me demande si c’est une question de balance, de curseur à positionner entre représentativité pour changer le monde via l’imaginaire et rester à sa place d’allié.e, c’est-à-dire laisser la place aux personnes concernées qui leur revient de droit. En tout cas écrire nous responsabilise et je suis convaincue qu’il ne faut pas faire n’importe quoi parce qu’on peut (et non ce n’est pas parce qu’on peut faire quelque chose qu’on doit le faire, comment ça je l’ai déjà dit?).
Nous sommes responsables des histoires que nous écrivons, à nous de faire attention à ce qu’elles suivent la ligne directrice de notre engagement.
Le cas la reine des détestés
Pour vous donner un exemple de bullshit stratosphérique que peut générer une histoire qui se veut bienveillante mais qui ne l’est pas, parlons de La reine des détestés. C’est un livre qui a été publié par Plumes du web il y a quelques mois et qui a fait un tollé au point que l’autrice en retire la publication de son livre chez sa maison d’édition. En cause? La description d’un univers dystopique où l’une des cultures (assimilée à la culture arabe dans notre monde) a réduit en esclavage une partie du monde (comprenez le monde blanc occidental). Moi, avec mon petit white gaze (et pour être totalement honnête) je n’avais pas vu le problème, jusqu’à ce que des personnes concernées s’emparent du sujet en rappelant que, dans un monde raciste où les politiques jouent la carte du complotisme et parlent de grand remplacement, ce livre était absolument malvenu car renforçant l’idée qu’un jour ce grand remplacement pourrait advenir (long story short, il y aurait plein d’autres choses à dire dessus). Cet épisode m’a permis de tirer plusieurs conclusions : 1) il me reste encore du chemin pour parvenir à m’extraire de tous mes points de vue de privilégiée, 2) l’écriture est toujours politique et nous engage, à nous de faire attention, 3) non, on ne peut pas écrire sur tout, mais surtout et spécialement, pas quand c’est fait n’importe comment.
On mange quoi ce mois-ci?
Ça vous tente des buns? Mais si, vous savez, ces petits pains fourrés qui nous viennent tout droit des USA! Je vous lâche ici ma meilleure recette (vegan of course) qui marche à tous les coups!
3 verres de farine (j’utilise le typique verre à moutarde)
1 CS de sucre
1 sachet de levure boulangère (environ 5gr)
1 cc de sel
1 verre d’eau tiède
3 CS d’huile d’olive
Mélanger 1 verre de farine avec le sucre, la levure et le sel. Ajouter l’eau tiède et bien mélanger puis laisser reposer 10 minutes minimum. Après le temps de repos, ajouter l’huile d’olive et les 2 autres verres de farine et mélanger. Laisser reposer minimum 30 minutes à température ambiante. Découper la pâte en pâtons de 50gr environ, étaler (ajouter de la farine si c’est trop collant) puis ajouter la farce et refermer. Déposer sur du papier sulfurisé, recouvrir d’un peu de crème de soja (pour la dorure) et ajouter des graines de sésame. Faire cuire à 165°C pendant environ 20 minutes. Si les petits pains ne sont pas assez dorés, vous pouvez les laisser un peu plus longtemps.
Pour la farce, je ne vous donne pas de recette en particulier, vous mettez ce que vous voulez dedans. La dernière fois j’ai fait une bolognaise vegan aux olives (énorme succès ici), avant je mettais plutôt des champignons à la crème (vegan toujours) et tofu fumé, mais ça fonctionne aussi avec un curry de pois cassés aux pommes de terre par exemple!
Enjoy!